Après le confinement, vive la rentrée ?

Comme tout parent, je suis sortie du confinement sur les rotules (et par confinement, j’entends le confinement officiel suivi des vacances scolaires estivales).

J’ai fait au mieux pour que les enfants pâtissent le moins possible de cette période anxiogène :

  • j’ai orchestré jeux, activités culinaires ou scientifiques et voyages virtuels hebdomadaires ;
  • j’ai organisé et suivi l’école à la maison avec des enfants plus ou moins autonomes, plus ou moins adolescents ;
  • à partir de juillet, j’ai invité des ami.e.s à la maison pour recréer du lien social.

Dès la mi-août, je me suis organisée comme une cheffe pour vérifier et acheter les affaires scolaires (bon, j’ai été moins bonne pour le tri des vêtements, mais ça a fini par se faire…).

Pendant six mois, j’ai incarné à tour de rôle la mère, l’enseignante, l’animatrice, la cuisinière, la pâtissière, la boulangère, l’intendante, la blanchisseuse, la tour-opératrice… endossant parfois deux ou trois fonctions à la fois… et m’oubliant progressivement.

Car je n’ai pu ni lire ni travailler comme je le voulais. Je n’ai pas eu d’occasions de me lover dans ma bulle, seule. Je n’ai eu aucun répit. Ou si peu… Pendant ces six mois, nous étions ensemble H24. Malgré tout l’amour que l’on se porte, les tensions étaient palpables.

Le jour de la rentrée scolaire était donc, pour moi, synonyme d’espoir. Enfin, je pourrais me nourrir et m’envelopper dans mon cocon réparateur.

Malheureusement, une semaine après, Binjamyne a eu de la fièvre et j’ai développé une toux. Reconfinement préventif de trois jours et tests PCR puis re-rentrée après réception des résultats négatifs. Pas facile pour les enfants qui n’étaient déjà pas très chauds pour la première rentrée…

Quant à moi, ces trois jours m’ont replongée dans un mélange de frustration, d’agacement et de sentiment d’impuissance. Et j’ai fait le calcul : nous sommes cinq à la maison, on va toutes et tous tomber malade une à deux fois cet hiver. Ça fait de 5 à 10 PCR (qui sont, ne le nions pas, très désagréables !) dans les six prochains mois et de 15 à 30 jours de confinement préventif. Sans compter la fermeture des établissements en cas avéré de Covid… On va donc passer notre temps dans l’instabilité, à alterner confinement et retour en cours.

Bref, le jour de la re-rentrée, j’espérais à nouveau pouvoir faire ce que j’avais à faire. Mais cette rentrée est bien différente des autres. Non pas parce qu’Éné va passer son bac, Kadaite son brevet et que Binjamyne est entrée au collège. Non ! Parce que le quotidien est plus envahissant que les années précédentes. Il y a évidemment l’administration familiale et la gestion de conflits (douches qu’on ne veut pas prendre, devoirs qu’on ne veut pas faire, table qu’on ne veut pas mettre et j’en passe et des meilleures). Comme d’ordinaire, les sollicitations des enfants sont multiples et constantes… même le soir, après 21 heures, lorsqu’il est clair que je veux à tout prix travailler au calme ou me reposer, Éné a besoin de parler de problématiques adulescentes auxquelles je ne peux décemment pas faire la sourde oreille, Kadaite a besoin de parler de ce qu’il s’est passé dans sa journée ou Binjamyne n’arrive pas à dormir. S’ajoute à cela la vérification quotidienne que chacun.e a bien sa gourde, son gel, ses masques lavables (qui coûtent un bras, me rajoutent deux à trois lessives hebdomadaires et du repassage). Les activités n’ayant pas repris et les horaires n’étant pas fixés, pas facile d’instaurer un rythme régulier et clair. En résumé, j’ai l’impression de crouler sous le nombre de choses à devoir organiser et prévoir. Et encore, j’ai de la chance, le papa s’implique dans des tâches ménagères (notamment la cuisine que j’ai tout bonnement abandonnée…).

Enfin – et surtout ? – je me sens dépassée par l’actualité. J’observe la société de loin depuis longtemps. Je vois le glissement qui s’opère depuis des années. Lorsque j’ai décidé d’avoir des enfants, je rêvais de mettre au monde des êtres auxquels je fournirais les outils critiques pour qu’ils soient capables de réfléchir par eux-mêmes. Je rêvais de futures personnes autonomes, bienveillantes, ouvertes d’esprit, engagées et bien dans leur peau. J’étais convaincue qu’on change le monde en commençant par chez soi et que tout ça rayonnerait. C’était ma petite pierre apportée au grand remplacement des climatosceptiques, antiféministes, racistes, xénophobes, islamophobes, LGBTphobes et autres phobiques de l’altérité.

Pourtant, quand je regarde ce qu’il se passe aux États-Unis, j’ai l’impression que Idiocracy, de Mike Judge, est un film d’anticipation. Presque partout à l’étranger je vois des régimes de plus en plus autoritaires, de la violence, de la corruption, de la peur et de la haine.

Et chez nous ?

Malheureusement, nous nous embourbons toujours plus dans un capitaliste fascisant en roue libre, fondé sur le patriarcat blanc (oui je sais, not all men et not all white people, mais suffisamment pour que ça nous pourrisse l’existence). Je m’explique :

NB : les listes ne sont pas hiérarchisées et j’ai commencé à mettre des liens, mais c’est trop chronophage, désolée. Je vous invite à faire les recherches par vous-même. Il y a pléthore d’articles sur les sujets évoqués.

  1. capitalisme :
  2. fascisant :
    • manifestations réprimées dans la violence ;
    • journalistes et street medics mis en garde à vue de façon arbitraire ;
    • volonté d’instaurer une accréditation pour les journalistes et observateurs d’ONG couvrant les manifestations et de les écarter des violences faites par les forces de l’ordre (donc anéantissement de la liberté de la presse et dérapage vers un journalisme toujours plus conforme à l’idéologie du gouvernement en place) ;
    • médias saturés de faits divers violents aux contenus choisis qui accentuent la sensation d’insécurité et de méfiance ;
    • violences policières couvertes / minimisées (légitimées ?) ;
    • racisme policier minoré et non condamné ;
    • amendes aux consommateurs de stupéfiants (qui maintiennent les gens dans la peur) au lieu de faire de la prévention, de démanteler les cartels ou de prendre des mesures contre le blanchiment d’argent ;
    • réflexion autour du rétablissement de la peine de mort ;
  3. fondé sur le patriarcat :
    • corps des femmes toujours réifiés et contrôlés : il faut être ni trop couverte (voile / burkini / jupe trop longue) ni pas assez (mini-jupe / crop top / topless), il ne faut être ni trop grosse ni trop maigre, il faut rester éternellement jeune sinon on n’est plus une femme on devient une veille, etc. ;
    • violences verbales et physiques contre les femmes toujours aussi nombreuses et peu – ou pas – reconnues ;
    • féminicides en hausse ;
    • hommes accusés de violences sexuelles, condamnés ou ayant avoué des crimes sexuels occupant des postes à hautes responsabilités ou rayonnant dans le monde de la culture en toute impunité ;
    • pédocriminalité et inceste tabous et entraves juridiques pour faire reconnaître ces crimes ;
    • discriminations et violences envers les personnes qui sortent des normes genrées et hétérosexuelles ;
    • parole des victimes toujours mise en question ;
  4. blanc :
    • langage raciste, xénophobe et l’islamophobe décomplexé à tous les niveaux ;
    • stigmatisation des musulman.e.s (l’État va-t-il finir par reproduire le passé en imposant un petit croissant vert en tissu ?) ;
    • marginalisation et maltraitance des Roms et autres Gens du voyage ;
    • migrants parqués dans des conditions insalubres et inhumaines ;
    • racialisation et discrimination de l’altérité qui est constamment renvoyée à un état d’êtres « subalternes » diabolisés par les médias (mais avec quelques exceptions d’intégration pour montrer que l’acculturation et l’assimilation sont possibles, hein) ;
    • le racisme systémique est nié alors qu’il est évident. Oui, nous avons un passé esclavagiste et colonialiste. Oui nos institutions sont racistes ;
    • une fachosphère bien présente qui pourrit le débat d’idées.

Je dois oublier de nombreuses choses (dont le validisme, autre forme de non-acceptation des différences, qui me vient à l’esprit et qui m’exaspère aussi !) et j’ai conscience que certains points se recoupent ou pourraient être dans plusieurs « rubriques » puisque tout est lié…

Toujours est-il qu’aujourd’hui, quand je regarde mes enfants, je me demande ce que le monde a à leur offrir. Je m’inquiète. Je culpabilise parce que je n’ai pas suffisamment agi pour changer tout cela.

Et aujourd’hui, je suis vidée… au bord du craquage. Je me sens seule.

Les mères que je côtoie renvoient une image d’organisation simple, efficace et douce. Une gestion du couple et des enfants dans l’amour et la bienveillance, avec des cœurs et des étoiles qui flottent autour d’elles. Des mères confiantes dans l’avenir et d’une positivité toxique. Jusqu’à il y a deux jours, même si j’essayais de me convaincre que tout ceci n’est que de la poudre aux yeux, je me sentais nulle. Après tout, si, malgré les perches que je leur tendais en leur disant mes difficultés, ces mères parfaites persistaient dans l’étalage d’une vie merveilleusement lisse, c’était peut-être moi le problème. Moi qui suis incapable de créer ce petit cocon familial idéal qu’elles me jettent à la figure. Moi qui suis incapable de montrer à mes enfants un monde de licornes et de magie où l’amour triomphe toujours.

Mais la dernière newsletter de Titiou Lecoq m’a ouvert les yeux. Je sais aujourd’hui que je ne suis pas seule. D’autres sont comme moi. Je n’ai juste pas encore trouvé les personnes qui acceptent de livrer leurs doutes, leurs échecs, leurs peurs. Des personnes qui osent voir la réalité de leur vie et du monde qui nous entoure, et pas uniquement le positif. Merci Titiou !